Casey

Publié le par les-sons-tombes-du-camion

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Genre : t'avais jamais écouté de rap français avant elle.

 

Le but de ce blog étant avant tout de partager ce qui mérite, selon nous, une oreille attentive de tout amoureux de musique, comment ne pas commencer par Casey en abordant le dossier hip hop.

Une évidence, tellement l'addiction des amateurs de rap « mature » qui découvrirait Casey pour la première fois est prévisible. Si le rap est l'art de maîtriser les mots, malheureusement galvaudé par une majorité de sorties de très basse qualité, Casey en est la reine.

 

Oui, « la » reine, et non le roi, malgré ce qu'une première écoute trompeuse pourrait laisser penser. Une allure androgyne, une voix d'outre tombe, mais une fois ce préambule établi, l'évidence tombe : cela n'a AUCUNE importance. Casey, c'est avant tout une plume. Univers sombre, textes cathartiques sur l'exclusion et le racisme, la haine des faux MC's, l'emballage n'est pas des plus engageant.

Une fois de plus tout cela n'a AUCUNE importance, il faut écouter Casey au moins une fois dans sa vie pour comprendre ce qu'est l'art de l'allitération. Une figure de style qui fait jouer la langue sur la sonorité, une syllabe déclinée sur plusieurs rimes, non pas seulement en fin de rime mais à l'intérieur de chaque pied lui même. Oui, le rap de Casey est technique, avant tout en terme d'écriture, quelques exemples en guise d'illustrations :

 

Autour des sons L et T : « Une Sale vie d'adulte que seul le sang exalte et qui souvent exulte quand il coule sur l'asphalte » (Le fusil dans l'étui)

 

 

Autour du son «aille/euille, etc.. » : « On t'cueille à ton réveil, recueille tout ton oseille, un comité d'acceuil qui t'émerveille, sort six verres et trois bouteilles, et vu qu'c'est toi qui paye, qu'on fête nos retrouvailles amène aussi d'la graille. Un mois qu'on t'surveilles, qu'on veille sur tes conversations et tes mails, qu'on connaît ta marmaille et le nom d'ta vieille l'endroit où tu travailles, et tes numéros d'comptes dans l'détail. Maintenant qu'on te tenaille, que tu bégayes, braille et nous supplie de prendre ta maille, si tu piailles ou pinailles, peu d'chance que s'enraye, la ferraille pressée à ton oreille. »

 

Autour du son L : « Quand j'vois cette farandole d'idole, qu'une jeunesse crédule adule, la connerie qu'elle véhicule, la sincérité qu 'elle simule, nos oreilles qu'elle encule, et toute la maille qu'elle accumule, il me faudrait une camisole, qu'on m'laisse seule, qu'on m'isole, trouver asile car mon encéphale s'affolle, la merde fait kiffer les foules, les bourrins mènent le bal, et les brebis s'emballent et rentrent dans l'moule, puis les médias s'en mêlent et à la final, tu assimiles tranquille, et tu dis « en fait c'est pas si mal », tu inhales des nuls... »

 

Petit jeu : prononcez seulement les parties en gras. Voilà, c'est ça une allitération. Alors, pour ceux qui ne connaitraient pas, bienvenue dans l'univers sombre mais salement addictif de Casey.

 

Les débuts (1996-2006)

 

Casey est un cas un peu à part dans l'univers rap. C'est une artiste dépassant largement la trentaine qui a participé aux premiers pas du hip hop français. Une enfance à Rouen, puis Blanc Mesnil dans le 93, et une première trace : la compilation L 432, une des premières dans le début des 90's, rendue célèbre par le duo Oxmo/Booba entre autres. Puis la compilation Première Classe et d'autres apparitions de ci de là (Less du neuf, La Clinique...), mais déjà le crédo est lancé : Casey ne veut pas participer à la grande course à la signature en major, en vogue à cette période. Elle veut parfaire son écriture et préfère l'indépendance. Elle crée Anfalsh avec Sheryo, Prodige, B,James et Navea comme MC'S. Le collectif sortira trois mixtapes remarquées dans le microcosme (Que d'la haine). On ne reviendra pas ici sur les péripéties qui ont conduit le collectif à se réduire aujourd'hui à trois, Casey, Prodige et B,James, il faut souligner cependant qu'il perdure et sort encore des mixtapes (Représailles).

 

Toujours est il qu'il s'agit d'une histoire de famille, et cela qui va infléchir la trajectoire de Casey. La rencontre avec La Rumeur est décisive. Pour faire une digression personnelle, comme beaucoup peut être, c'est ainsi que j'ai découvert Casey. Sur l'album L'Ombre sur la mesure de La Rumeur, on trouve un morceau de fin d'album avec moults featuring (la tradition quoi..), et là, premier couplet...la claque ! Casey en duo avec « je sais pas qui », peu importe, c'est écrit par Casey, cela se sent, cela se sait (...allitérations, j'm'y met...)

On gratte, on va chercher l'information sur "gogole" (comme tout le monde), ah, il paraît que Casey a sorti 2 trucs cette année...Et voilà la rencontre :

 

Hostile au Stylo (2006)

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Rien que le titre donne le ton : 12 lettres, 2 syllabes :« o » et « stile » , faites l'essai...

C'est une compilation de couplet, donc des morceaux de 30 secondes à 1 minute 30 maximum, mixés à la suite...et mal mixés. Mais sans utiliser les majuscules cette fois ci, je dirais que cela n'a aucune importance. C'est un condensé, et le résultat est là : une myriade de couplet pour la grosse majorité hallucinants en terme d'écriture. Certaines instrus sont pauvres, d'autres massacrées par le mix mais l'essentiel est là : la plume de Casey, déjà extraordinaire, avec des moments d'anthologie comme « S'ils continuent », « C'est l « histoire », « Cire nos pompes ». Le verdict est clair : on a affaire à un extra terrestre, un monstre d'écriture, chaque rime donnant déjà l'impression d'être calibrée à l'extrème.

 

 

Ennemi de l'ordre (2006)

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LA claque. Six titres seulement, mais une production studio excellente, des instrus et un artwork bien dark, mais  surtout : une écriture à couper le souffle. Peut être encore aujourd'hui la production de Casey la plus cohérente, massive, carrée, les superlatifs ne manquent pas. Dix années à essuyer les plâtres, à galérer en indé, pour un résultat énorme : les quatres premiers titres sont des musts, encore joués par Casey aujourd'hui sur scène, en commençant par l'Exclu, morceau/intro au sample de riff de guitare qui envoie un crescendo absolument hallucinant. Suivent Le Fusil dans l'Etui, Ennemi de l'ordre et Comme un couteau dans la plaie, qui ne sont pas à raconter, analyser, décrire, mais seulement à écouter.

 

 

Premier album : Tragédie d'une trajectoire (2006)

 

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Dix ans après ses débuts, Casey sort enfin son premier album en 2006 : « Tragédie d'une trajectoire ». Le résultat est sans conteste excellent, bien que les instrus de cet album, au demeurant assez classiques, soient aux yeux de certains un poil faiblardes. Le format album permet à Casey de décliner ses thèmes de prédilection de façon plus ordonnée que sur ses précédentes productions, ce qui fait de « Tragédie d'une trajectoire » un ensemble cohérent mais aussi varié quant aux styles de chaque morceau : hargneux, mélancoliques, désabusés ; comme d'habitude, on n'écoute pas Casey en vacances sur un hamac ou en faisant la vaisselle (quoi que...) . L'univers est définitivement sombre. Mais cinq ans après sa sortie, ce disque compte désormais des classiques de rap en terme d'écriture : Pas à vendre, Chez moi, Une lame dans ma veste, Suis ma plume, Je lutte : l'addiction à ces morceaux est garantie.

 

 

Deuxième album : Libérez la Bête (2011)

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En 2010 sort Libérez la bête, très attendu second album de « qui vous savez ». Le succès va grandissant pour la rappeuse de Blanc Mesnil, car même si les ventes ne sont pas au niveau des têtes d'affiche du courant musical dans lequel elle évolue, elles sont plutôt correctes et tout amateur de rap français qui se respecte à entendu parler de Casey. Au niveau promo « mainstream », elle commence à interpeler le microcosme bobo journaleux parisien, tout du moins celui qui, quand on lui parle de rap, n'a pas forcément tout de suite envie de citer en exemple Abd al Malik. Casey est reçue dans les émissions « Des mots de minuit » sur France 2 ou par Pascale Clark sur France Inter par exemple, mais l'univers glauque de l'artiste ne lui permet pas encore de passer à l'étape de la consécration médiatique conséquente (Oxmo, en passe de l'obtenir par exemple).

 

Mais revenons à l'album : il répond parfaitement aux attentes sucitées par le premier : encore plus cohérent, une symbiose désormais parfaite entre plume et instrus, bien que deux morceaux soient décevants : Premier rugissements et Mariés aux tours ne squatteront pas mes enceintes longtemps..A part ceux-ci, que du bon ! Regard glacé est une entrée en matière cinglante : les scratchs du refrain issus d'Ennemi de l'ordre appuient des couplets qui atteignent des sommets de perfection lyricales et font dire à l'auditeur averti au non initié : « voilà, c'est ça Casey, c'est ça le rap français, et t'en a jamais vraiment écouté avant Casey».

On continue la revue de détail : Créature ratée est le second clip issue de l'album, superbe au demeurant et restituant bien la thématique cathartique du morceau : le racisme ancré dans l'inconscient collectif.

 

 

Dans la même thématique : Sac de sucre et Libérez la Bête se bonifient après plusieurs écoutes car malgré l'excellente compréhensibilité de Casey (ce qui la differencie de beaucoup de rappeurs pour lesquels on se dit : « ça a l'air pas mal, mais franchement j'ai pas tout compris »), certains morceaux nécessitent plusieurs écoutes pour appréhender à sa juste valeur la finesse de sa plume. Le morceau suivant, Rèves illimités, est intimiste comme jamais Casey ne l'a été, le rendu est une réussite totale entre introspection faisant référence à l'enfance et projection vers l'avenir. A la gloire de mon glaire et Apprends à te taire dévoilent l'humour acerbe de cette artiste hors du commun, tandis qu'Aux ordres du maître et l'apparition remarquée de Al (compagnon de route depuis quelques années déjà) élève le débat au niveau suprême de notre société : l'argent.

 

Libérez la bête est dans la même veine que le précédent album : sombre, massif (dans le son comme dans l'écriture), et surtout, extrèmement bien travaillé. Notre amie ne sort jamais rien au hasard, et une fois de plus, même si on ne fréquente pas cet univers rap, l'écoute de cet album inspire le respect à n'importe quel auditeur un tant soit peu curieux de ce que peut être la musique en 2011.

 

 

Zone Libre

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Casey a toujours été fan de rock tendance fusion (Rage Against the Machine, Urban Dance Squad, …) et sa rencontre avec Zone Libre est tout sauf impromptue. Petit flashback : En 2003 Noir Désir invite La Rumeur en première partie de sa tournée nationale, des liens se créent entre le groupe bordelais et La Rumeur, et donc probablement avec Casey par la même occasion. Quelques années plus tard, alors que Noir Désir est en stand by pour les raisons que l'on connait, Serge Teyssot-Gay le guitariste du groupe monte Zone Libre, un groupe de rock tendance expérimentale. L'idée d'une collaboration entre Hamé de La Rumeur, Casey et Zone Libre aboutit à des répétitions, et le résultat étant convaincant aux yeux des intéressés, un premier album est enregistré et sort en 2009.

 

 

L'Angle mort (2009)

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L'opus se nomme l'Angle Mort, et il offre une alchimie parfaite entre un rock sombre et dépressif et les textes à la fois acerbes et fatalistes des deux rappeurs. Il contient des perles comme Les Mains Noires, Purger ma peine, Une tête à la traine, 1/20, La chanson du mort vivant. Au risque de se répéter, c'est un univers très sombre qui peut rebuter l'auditeur, mais la musique c'est pas que Gilbert Montagné, et on vit pas à Disneyland, n'est-ce pas ?

Une tournée suivra sur laquelle B James remplace Hamé, et le show sera axé sur un mix entre l'Angle Mort et des textes de Casey repris sur des guitares saturés. Le résultat est une claque scénique où se dévoilent les points communs évidents entre rap et rock : énergie et rythmique.

 

 

 

 

Les Contes du chaos (2011) 

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Hamé ayant définitivement lâché le projet, B James participe à l'élaboration du deuxième album, Les Contes du Chaos. Sorti début 2011, il m'a laissé un peu sur ma faim. Côté positifs : des textes toujours taillé au scalpels, avec un B James plus épuré qui gagne en accessibilité. Côtés négatifs : aucune surprise, presque trop prévisibles, les riffs de Zone Libre sont décevants. Ceci dit, comme pour le premier album, c'est sur scène que les morceaux prennent réellement vies, on attendra donc les concerts pour avoir un jugement plus définitif. On retiendra de toute façon de bons titres comme A la seconde près, Toujours les mêmes, Carnet de ma cage, Aiguise moi ça, ou alors d'autres, à chacun de voir...Alors voilà, en définitive, le concept de la rencontre est absolument mortel à mes yeux mais il me semble que le rendu sur album pourrait être encore supérieur. Ceci dit, le résultat est plus qu'honnête et les concerts qui en découlent à voir au moins une fois s'ils passent près de chez vous.

 

 


 

Publié dans Hip-Hop

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P
excellent article (et bon blog dans l'ensemble pour ce que j'ai lu pour le moment), je suis surpris de ne voir aucun commentaire.<br /> Je ne connais Casey que depuis peu et j'ai tout de suite adhéré à ces chansons les plus connues (notamment "chez moi" et "apprend à te taire". Mais je reste un peu déçu maintenant que j'ai ses 2<br /> premiers albums. C'est quand même vachement axé sur des textes du genre "je suis noir donc tout le monde est méchant avec moi", un peu simpliste pour quelqu'un qui arrive parfois à faire des textes<br /> ultra percutants.<br /> <br /> j'avais entendu parler de zone libre, ce blog me donne envie d'aller voir ca de plus près!
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T
<br /> <br /> Merci pour tes compliments, ça fait chaud au coeur et donne envie de continuer (ce qui n'est toujours pas évident)...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> N'hésite pas à faire partager, à bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />